LE CASSE-TÊTE DU SERVICE APRÈS-VENTE DES BANQUES CENTRALES, par François Leclerc

Billet invité.

La Banque des règlements internationaux (BRI), ce haut-lieu de la réflexion macro-économique, est confrontée à une énigme dont traite son rapport annuel : comment se fait-il que la reprise économique significative qu’elle constate ne s’accompagne pas de la relance de l’inflation ?

Déroulant la logique de son raisonnement, la BRI répond à cette question par une autre : pourquoi les salaires – à l’origine de l’inflation – ne progressent-ils pas alors que le taux de chômage tend à revenir dans les normes ? Le mystère reste pour elle entier et les banquiers centraux sont renvoyés à leurs incertitudes, ne sachant pas trop sur quel pied danser afin de revenir à la normalité dans une situation qui n’y conduit pas. Au centre de la réflexion figure la lancinante problématique de la remontée de leur taux.

Quelque chose a changé mais reste indéfinissable – faute que la BRI sorte du cadre de son raisonnement – qui fait obstacle au retour de l’inflation. Des causes structurelles sont sans aucun doute à l’œuvre, mais lesquelles ? La globalisation, la faiblesse de l’innovation technologique, ou bien la politique des banques centrales elle-même ? Le raisonnement ne va pas plus loin une fois l’énumération effectuée. Mais les banques centrales ont quoi qu’il en soit perdu le contrôle des prix, leur mission phare. La logique cachée des marchés leur impose dorénavant sa loi, leurs instruments monétaires étant devenus inopérants pour l’encadrer.

Comme le remarque également la BRI, le temps passe et maintenir trop longtemps les taux à leur bas niveau actuel pourrait avoir pour conséquence la remise en cause d’une stabilité financière chèrement acquise, « alors que la dette continue à augmenter et que la pression s’accroit sur les marchés financiers». Les remonter trop rapidement pourrait tout aussi bien perturber le fonctionnement de marchés qui s’y sont habitués. La plus grande prudence s’impose donc, mais la circonspection ne fait pas une politique.

À la recherche des risques pouvant compromettre la reprise de la croissance, la BRI liste les possibles : « une hausse de l’inflation ; des tensions financières accompagnant l’arrivée à maturité des cycles financiers ; une baisse de la consommation et de l’investissement due, pour l’essentiel, au poids de la dette ; et une montée du protectionnisme ». Il y a de quoi faire.

Décidée à y voir clair, elle s’était dès avril dernier penchée sur un ressort essentiel du système financier pesant la bagatelle de 12.000 milliards de dollars : l’impénétrable marché des repos où les établissements financiers vont toutes natures confondues emprunter à court terme pour financer leurs activités spéculatives et de crédit. Avec l’intention de comprendre les conséquences en son sein des mesures non conventionnelles des banques centrales, ces dernières étant suspectées de distorsion des marchés en raison de leurs achats massifs de titres obligataires.

Le marché des repos est le canal privilégié de la circulation du collatéral nécessaire à la conclusion des transactions et des appels de marge pour les produits dérivés. Or il fonctionne de gré à gré, et est à ce titre particulièrement opaque, ce qui explique que la BRI se soit donnée deux ans pour tenter d’y voir clair. William Dudley, qui est à la tête de la Fed de New York, reconnait en attendant que les effets conjoints des mesures non conventionnelles des banques centrales et des réformes de la régulation vont « dans des directions opposées dans de nombreux cas », qu’il faut approfondir. Les mécanismes du système financier sont loin d’avoir été tous éclaircis, faisant de ceux qui ont pour mission de les encadrer des spectateurs se grattant la tête.